Pour le lancement de la webrevue Strabic – un autre regard sur le design, Perrine Boissier travaille avec l’équipe d’éditeurs sur la première saison intitulée L’usager au pouvoir. Elle y propose deux articles autour du « design public », ici une critique de livre, et le premier : un entretien avec François Jégou, juillet 2011.
Publié en avril 2010 à la Documentation Française, le Design des politiques publiques est la première édition de la 27ème région, « laboratoire de transformation publique ». Issus du milieu du design, les acteurs de cette structure se proposent de réviser la conception de projets à caractère public à travers des méthodes liées au design. Comment cette discipline qu’on range habituellement dans le monde de la forme et de l’image peut-elle intervenir dans le débat public ? N’est-ce qu’une question de relooking ou y aurait–il réellement un design de politiques ? Pour cette question, l’ouvrage pourra être montré du doigt ou au contraire pris comme argument dans l’éternel débat de la définition du design… Mais, s’inscrivant dans les mouvements actuels de la société vers de nouvelles valeurs, les acteurs de la 27ème région entendent justement pratiquer leur discipline en proposant d’expérimenter des méthodes de design dans les actions publiques. Du nom d’une 27ème région qui n’existe pas encore en France, Stéphane Vincent, directeur de projet, Romain Thévenet, chargé de mission « design de service » et Charlotte Rautureau, responsable administratif et financier, ont développé un petit laboratoire expérimental pour redynamiser les politiques publiques, répondant à la commande de l’Association des Régions de France. Leurs actions prennent la forme de résidences d’environ trois semaines in situdurant lesquelles designers, urbanistes, architectes, sociologues ou philosophes, intègrent des équipes d’acteurs locaux dans différentes régions. Leur programme est fondé sur la mise en relation des citoyens et des administrations locales, pour une réappropriation commune des décisions politiques. Cette publication est ainsi l’exposition d’initiatives mettant en œuvre cette nouvelle forme de « design » qui stimule l’innovation sociale. Les designers de « l’innovation sociale » considèrent le design selon une définition plus large que celle que l’actualité nous laisse entendre. Concentrés sur le mot conception plutôt que production, ils aspirent à un retour aux valeurs fondamentales de l’usage et des pratiques, valeurs que prônait déjà Moholy Nagy dans Vision in motion : « Le design n’est pas une profession, mais une attitude, affirmait-il. Les notions de design et de designer doivent être transformées. […] Il y a un design dans l’organisation de notre affectivité, de notre vie familiale, dans les rapports syndicaux, dans l’urbanisme comme dans tout travail réunissant les individus « civilisés ». Finalement, tous les problèmes en design sont fondés sur une unique préoccupation : le design pour la vie ! » . Cette citation prend aujourd’hui une véritable actualité ! C’est bien du travail de la vie et de la société dont témoigne le Design des politiques publiques. « Design : démarche de conception créative centrée sur l’utilisateur », telle est la définition qui sert de référence à l’ensemble de l’ouvrage. S’il faut attendre la dernière page pour la lire clairement, le Design des politiques publiques est une des rares publications qui met les mots et les formes sur ces nouvelles pratiques du design qui tentent d’échapper à la société de consommation, pour travailler les relations. C’est une grande polémique au sein du design que soulèvent ces pratiques qui sortent du cadre de la production matérielle. Ce n’est pas pour autant que ces designers ne conçoivent plus d’objets ni d’espaces, mais leur démarche est particulière dans le sens où, travaillant en « co-conception » avec les usagers, ils répondent d’abord à un besoin de mise en relation des produits et services qui existent déjà. « Il y a urgence et nécessité de transformer l’action publique », la première phrase du Design des politiques publiques annonce l’ampleur du sujet. Alors que les administrations et les organisations de proximité semblent toujours être dirigées par leurs instances supérieures, l’individu n’a plus qu’une « valeur de consultation, et jamais de construction ». C’est contre cet éternel problème de communication entre le monde des décisions politiques et administratives, et celui de leur application concrète, que les citoyens cherchent de nouvelles solutions. Avec les outils de l’interactif et du participatif, les designers s’efforcent de rendre lisibles les fonctionnements complexes d’une collectivité. Comprendre la globalité d’un système et faire en sorte qu’il fonctionne mieux pour prendre en main son avenir, tels sont les objectifs des acteurs de « l’innovation sociale ». |
A l’opposé des pratiques virtuelles, on découvre le concept du « prototypage rapide », un véritable outil du passage à l’acte ! Emprunté au vocabulaire du design industriel, le prototypage rapide consiste en la mise en pratique instantanée d’un système dont on fait l’hypothèse durant la recherche du projet. Ces sortes d’expériences en contexte réel sont fondamentales dans la démarche de l’innovation sociale, car la confrontation avec la réalité permet de tester en direct la validité d’un système avant de proposer un projet : c’est possible ici et maintenant. En somme, la 27ème région dans ses « résidences » s’immerge totalement dans la vie des citoyens locaux, et réunit ainsi les personnes et les moyens nécessaires à l’émulation globale. Mais cette même méthode qui fait la dynamique créative des initiatives, fait aussi souvent de l’innovation sociale des événements éphémères. Comment faire pour que la richesse de la résidence existe plus durablement ? Comment faire pour qu’il y ait véritablement engagement des politiques à long terme ? C’est ce à quoi la 27ème région tente de répondre en proposant d’installer des « laboratoires créatifs » au sein des collectivités publiques pour faire durer la dynamique de projet.« Créatifs »
Moins que les capacités de médiation ou les compétences techniques d’un designer, c’est le rôle du créatif qui importe dans ces initiatives publiques. Proposer un projet de collectivité implique des « leaders d’expérimentation ». Les acteurs de l’innovation sociale ne sont pas tous designers de profession mais certainement tous capables d’imaginer, de construire et de mettre en œuvre un objet et un concept nouveau. Si cet ouvrage révèle le rôle fondamental des créatifs dans une équipe de travail, il ne leur est pas pour autant destiné. Présenté comme un catalogue de projets succinctement exposés, le Design des politiques publiques laisse peu de place à l’interprétation : chaque chapitre se conclut par une double page d’ “enseignements » qui synthétise et expose les concepts à en tirer. Seules les pages d’entretiens viennent poser quelques questions théoriques autour des besoins de la société actuelle. Ainsi, ceux qui cherchent des réponses aux questions du design social ne seront qu’à moitié satisfaits. En effet, le Design des politiques publiques s’adresse d’abord à un public étranger au milieu de la création. C’est pourquoi tant de didactique ! Il ne s’agit pas d’un ouvrage de recherche, mais bien d’un recueil de témoignages révélant le potentiel de cette nouvelle relation élu/créatif. C’est avant tout aux collectivités publiques que sont destinés ces témoignages, et c’est pourquoi la 27ème Région les a fait publier à la Documentation Française. Pour ces éditions habituées à diffuser des guides techniques et informatifs de l’organisation publique, le Design des politiques publiques est certainement l’ouvrage le plus créatif de leurs publications. L’ensemble est très rassurant, il en émane un élan plein d’espoir vers de nouvelles sociétés possibles… Les conditions d’accueil « chaises disposées en rond, paperboard et présentation rapide de chacun » semblent effectivement réussir en toutes situations ; on parle très peu d’échec… Quelques brèves lignes esquissent les réticences de certains habitants, mais les conclusions restent très enthousiastes. Quelle place pour l’erreur ? On peut se demander dans quelles mesures les mêmes méthodes ne mènent pas toujours aux mêmes résultats. Les initiatives pourraient-elles se standardiser ? En réalité, l’intérêt n’est pas tant dans le résultat que dans le processus. C’est là la particularité du travail du designer en innovation sociale. C’est une démarche qu’il importe d’initier : proposer une méthode de conception à s’approprier qui devienne support de l’innovation, une sorte de trame didactique sur laquelle on peut construire. Ainsi, derrière les conclusions proprement « designées » de chaque projet, on sent bien que les « marches à suivre » des designers ne sont pas si définies et qu’il est toujours possible, et même souhaitable, de se les approprier puis de s’en émanciper… Finalement, si certains lecteurs attirés par les mots design et politique peuvent ressortir frustrés de cette « visite guidée » destinée aux collectivités publiques, l’ouvrage n’en reste pas moins une bible de références actuelles des actions de l’innovation sociale ! Revendiquant la voix des créatifs au sein des décisions qui concernent l’usage public, celui-ci s’impose également comme l’une des rares publications de design qui affirme ses responsabilités politiques et sociales. Espérons alors que ce foisonnement d’initiatives séduira les institutions visées. Perrine Boissier |
Article publié à l’origine sur nonfiction.fr
repris sur strabic, puis sur OWNI
Titre du livre : Design des politiques publiques
Auteur : La 27ème Région
Éditeur : Documentation française
Date de publication : 08/12/10
N° ISBN : 9782110079954